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Une jeune Palestinienne transporte des bidons d'eau dans une rue de Gaza. Derrière elle, le sol est jonché d'ordures.

Gaza « inhabitable » : le territoire palestinien se dégrade sous les assauts

Six mois après le regain d'intensité du conflit israélo-palestinien, les attaques de l'armée israélienne ont laissé derrière elles un paysage de désolation. Dans l'ombre des affrontements, la contamination et la pollution ont fait leur nid dans la bande de Gaza.

Depuis le début de l'offensive israélienne dans la bande de Gaza, une menace s'est cristallisée, venue d'un autre front : la pollution de l'eau, du sol et de l'air, qui avive la propagation des maladies et nuit aux moyens de subsistance de la population.

Si la bande de Gaza était déjà vulnérable aux aléas du climat et aux risques environnementaux, elle est devenue inhabitable depuis la riposte militaire d’Israël aux attaques du Hamas, d'après l'ONU.

À la suite d'une demande officielle de l'État de Palestine, le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) a commencé à documenter les répercussions du conflit sur l'environnement dans la bande de Gaza, où plus de 30 000 Palestiniens ont été tués en cinq mois.

Des sources sur le terrain et des images satellites donnent déjà une idée de l'ampleur des dommages.

L'Autorité palestinienne a changé le nom de sa mission diplomatique à l'ONU en y ajoutant le mot État (The Permanent Observer Mission of the State of Palestine to the United Nations). Il s'agit d'une reconnaissance symbolique puisque pour obtenir un statut d'État membre en bonne et due forme, il faudrait le soutien du Conseil de sécurité, ce qui lui a déjà été refusé.

Proche-Orient, l’éternel conflit

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Un panache de fumée s'élève à la suite d'une frappe aérienne israélienne, dans la ville de Gaza, le samedi 7 octobre 2023.

La principale source d'eau potable compromise

À peine un mois après le début de l'offensive, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) estimait que 55 % des infrastructures hydrauliques dans l'enclave palestinienne étaient endommagées et nécessitaient des réparations.

Au moins 100 000 mètres cubes d'eaux usées sont déversés chaque jour sur la terre ferme ou dans la mer Méditerranée, indique un porte-parole du PNUE.

Comme les installations qui permettent de traiter les ordures ont elles aussi été endommagées ou détruites, les déchets solides sont déposés un peu partout, ce qui accroît le risque que des substances dangereuses s'infiltrent dans le sol poreux et éventuellement dans l'aquifère, ajoute-t-il.

Des travailleurs palestiniens s'affairent à réparer une conduite d'eau endommagée au milieu d'une route de sable.

Des travailleurs palestiniens s'affairent à réparer une conduite d'eau endommagée par une frappe israélienne sur une route entre Rafah et Khan Younès, dans la bande de Gaza, début décembre 2023.

Photo : afp via getty images / SAID KHATIB

Seize ans de blocus imposé par Israël ont compromis de façon durable l'accès à l'eau potable dans la bande de Gaza. À défaut d'avoir suffisamment d'installations pour traiter les eaux usées, les habitants de la région devaient compter sur de l'eau embouteillée importée d'Égypte.

Bien avant l'escalade du conflit, 96 % de l'eau prélevée dans l'aquifère côtier – principale source d'eau pour les Gazaouis – était déjà considérée comme étant impropre à la consommation.

L'eau de cet aquifère, que Gaza partage avec Israël, se renouvelle à raison de 80 hectomètres cubes [hm3] par an, mais cette quantité diminue de plus en plus avec les changements climatiques, explique Pedro Arrojo-Agudo, chercheur en économie et en gestion de l'eau et rapporteur spécial sur les droits de l'homme à l'eau potable et à l'assainissement.

Même avant [le regain de] la guerre, la population avait besoin de pomper environ 200 hm3 par année pour avoir de l'eau potable et pour l'agriculture. C'est trois fois plus que la quantité qui pourrait être extraite de manière durable, fait-il remarquer.

Résultat : les eaux usées ont contaminé l'aquifère, qui s'est salinisé au fil des ans. Et avec la guerre, tous ces problèmes se sont aggravés, lance M. Arrojo-Agudo.

De la fumée s'élève en un sombre nuage dans le ciel au-dessus de Gaza.

Sur cette photo qui date du 6 décembre 2023, on peut voir que les attaques ont gravement endommagé des installations qui permettaient de traiter et de stocker l'eau dans une zone industrielle de Gaza.

Photo : Reuters / ATHIT PERAWONGMETHA

Dix jours après l'attaque du Hamas du 7 octobre, la dernière des quatre usines de dessalement de l'eau de mer qui approvisionnaient le centre et le sud de la bande de Gaza a dû cesser ses activités, faute de carburant. Au moins deux autres usines de dessalement ont été endommagées par les bombardement israéliens.

Sans usine pour la pomper ou la traiter, l'eau a commencé à se déverser dans les rues de Gaza. Par endroits, l'aquifère côtier se trouve à peine à 100 mètres sous la surface, ce qui porte les experts à croire que les réserves souterraines ont été en grande partie contaminées.

Historiquement, les incidents de pollution marine à Gaza ont entraîné des concentrations élevées de chlorophylle et de matières organiques dans les eaux côtières, de même que des parasites gastro-intestinaux.

Une citation de Le Programme des Nations unies pour l'environnement dans une déclaration écrite

En raison des microbes qui se trouvent dans les eaux usées consommées par les résidents de Gaza, le nombre de cas de dysenterie et de diarrhée a augmenté rapidement depuis l'escalade du conflit.

Dans un campement de tentes de fortune, des hommes s'affairent à remplir des seaux d'eau tandis que des enfants les observent.

Un campement de réfugiés palestiniens inondé après de fortes pluies, à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 27 janvier 2024.

Photo : afp via getty images / MAHMUD HAMS

L'Organisation mondiale de la santé estime qu'il n'y a qu'une douche en moyenne pour 4500 personnes et un seul cabinet de toilette pour 220 personnes, ce qui contraint les résidents à déféquer à l'air libre, aggravant ainsi le risque de transmission de maladies.

Cette situation jugée extrêmement critique par l'OMS expose les jeunes enfants à un risque accru d'infections et de malnutrition. Au moins 90 % des enfants de moins de 5 ans sont atteints par une ou plusieurs maladies infectieuses.

L'eau comme arme de guerre

À la fin de janvier, l'armée israélienne a confirmé ce que plusieurs observateurs redoutaient depuis des semaines : elle a installé tout un réseau de pompes et de canalisations qui lui permettent d'injecter de l'eau à haut débit dans les tunnels de la bande de Gaza, où se terreraient des membres du Hamas, selon les militaires.

C'est très préoccupant, parce que si les tunnels ne sont pas parfaitement étanches, l'eau de mer s'infiltrera dans le sable et dans l'aquifère, ce qui le rendra encore plus contaminé et plus salé qu'il ne l'est déjà, s'inquiète le directeur général du Geneva Water Hub, Mark Zeitoun.

Cette photo prise lors d'une visite supervisée par l'armée israélienne, le 8 février 2024, montre des soldats à l'entrée d'un tunnel dans la ville de Gaza.

Cette photo prise lors d'une visite supervisée par l'armée israélienne, le 8 février 2024, montre des soldats à l'entrée d'un tunnel dans la ville de Gaza.

Photo : afp via getty images / JACK GUEZ

Ce spécialiste des questions transfrontalières liées à l'eau affirme qu'il s'agit d'une tactique rarement employée dans un conflit. L'eau a été utilisée lors de l'invasion russe de l'Ukraine, notamment pour arrêter les armées en marche ou pour priver l'un ou l'autre camp d'eau, explique-t-il, [mais] l'infiltration délibérée d'eau salée dans les nappes phréatiques, c'est une forme d'armement que je n'ai jamais vue ailleurs dans le monde.

On assiste à une militarisation extrême de l'eau, sans que le droit international ait eu d'effet apparent jusqu'à présent. Ça crée un dangereux précédent pour l'avenir.

Une citation de Mark Zeitoun, directeur général du Geneva Water Hub

Tout aussi inquiet, Pedro Arrojo-Agudo dit anticiper des conséquences désastreuses pour l'avenir de la population en territoire palestinien.

Non seulement la salinisation de l'aquifère pourrait causer la perte de la seule source d'eau potable de la région, mais elle empêcherait toute forme de vie de prospérer dans la bande de Gaza, prévient-il.

Déclin agricole alarmant

Les terres arables, dont l'accès a diminué sous le contrôle d'Israël, ont aussi subi d'imposantes pertes depuis octobre 2023.

En comparant la superficie du territoire agricole des dernières années avec de récentes images satellites, l'ONU a constaté le déclin alarmant et considérable d'environ 46,2 % des terres cultivées en date du 15 février.

Des élevages de moutons et de vaches laitières ont été gravement touchés, tandis que 339 hectares de serres ont été détruits.

En janvier dernier, l'étendue agricole s'élevait à 17 800 hectares, soit environ la moitié de la superficie totale de Gaza, selon le centre satellitaire onusien UNOSAT. En un mois à peine, les dommages se sont accentués dans les gouvernorats de Deir al-Balah et de Khan Younès.

Des agriculteurs palestiniens préparent un champ de fraises.

Des agriculteurs font la récolte des fruits dans un champ de fraises avant l'arrivée de l'hiver à Beit Lahya, dans le nord de la bande de Gaza, en novembre 2021.

Photo : afp via getty images / MOHAMMED ABED

Depuis le début de la campagne de bombardements, le 7 octobre, les vergers et les champs jugés suspects ont été lourdement ciblés, constate l'organisation néerlandaise pour la paix PAX dans un rapport. Les cratères laissés par les impacts des obus sont visibles sur les images satellites.

Les déplacements des chars d'assaut et des véhicules de l'armée israélienne et des groupes armés palestiniens ont aussi aggravé l'état des terres cultivées et des vergers, indique-t-on.

Ces milliers d'hectares de terres agricoles à l'extérieur de villes densément peuplées, comme Gaza et Khan Younès, sont d'ordinaire une source de denrées et de revenus essentielle pour les Palestiniens.

Avec l'intensification du conflit, la crise alimentaire est quant à elle devenue de plus en plus criante à Gaza. Face aux restrictions imposées par Israël, les opérations humanitaires sont devenues impossibles à mener, ce qui prive les Gazaouis de la nourriture et de l'eau que les organisations tentent d'acheminer sur le terrain, selon l'ONU.

L'OMS estime que 93 % de la population de Gaza – une proportion sans précédent – fait face à une pénurie alimentaire. Au moins 1 ménage sur 4 vit dans des conditions catastrophiques.

Environ 2,5 millions d’arbres à fruits ont été arrachés de terre de 1967 à 2007 dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, selon l’ONG palestinienne Applied Research Institute – Jerusalem. De ce nombre, le tiers sont des oliviers.

Déchets et débris dangereux

En coupant l'accès aux routes et l'alimentation en électricité, Israël a en outre provoqué une crise de la gestion des déchets. Sans système pour les traiter, ces ordures sont désormais abandonnées ou brûlées à l'air libre.

Il n'y a plus de gestion des déchets. C'est une crise qui entraîne des risques sanitaires importants, qu'il s'agisse de la pollution de l'air due à l'incinération des déchets ou de la transmission de maladies, souligne pour sa part Marie Schellen, responsable de projet chez PAX.

Des ordures à perte de vue recouvrent un terrain.

Des ordures recouvrent un site de construction qui devait autrefois accueillir une cour de justice près du camp de Maghazi pour les réfugiés palestiniens, au centre de la bande de Gaza.

Photo : afp via getty images / ANAS BABA

Les lourds dommages cartographiés par l'ONG PAX dans la bande de Gaza ont aussi touché des installations industrielles, comme des entrepôts de produits pharmaceutiques ou des usines de fabrication de plastique, qui pourraient libérer des polluants.

Les débris et les déchets dangereux sont une préoccupation majeure, affirme de son côté un porte-parole du Programme des nations unies pour l'environnement.

Début janvier, la quantité totale de débris laissés dans le sillage des affrontements s'élevait à environ 22,9 millions de tonnes. C'est une quantité extrêmement élevée de débris, en particulier pour une zone aussi petite, souligne-t-il.

Des Palestiniens fouillent les décombres d'un immeuble en ruine.

Des Palestiniens fouillent les décombres d'un immeuble après une frappe israélienne à Deir al-Balah, au centre de la bande de Gaza, le 8 mars 2024.

Photo : afp via getty images / -

La gestion de tous ces matériaux s'annonce aussi laborieuse que délicate. En plus des risques de blessures que peuvent causer leur déplacement, les débris et leurs composants enfouis sous les décombres peuvent contenir des substances nocives, par exemple de l'amiante, des métaux lourds et des produits chimiques dangereux.

C'est sans compter le risque de tomber sur des munitions non explosées, précise le porte-parole du PNUE. Il faudra aussi évaluer l'impact environnemental des débris de munitions et des incendies qu'ils ont provoqués, de même que la dégradation et la contamination ultérieures des terres et des eaux souterraines.

Même une fois les hostilités terminées, l'avenir s'annonce sombre pour les Palestiniens, qui devront composer avec un territoire où les ressources naturelles ont été dévastées, résume l'ONG PAX. La reconstruction des zones bombardées pourrait prendre des années.

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