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Enquête publique : Napa Raphaël André est mort d’hypothermie

Deux intervenants ont dû, malgré eux, dire à l'homme de 51 ans de partir de leur refuge. Il a été retrouvé sans vie dans une toilette chimique.

Stéphanie Gamache regarde la caméra depuis son siège.

La coroner Stéphanie Gamache juste avant d'écouter un nouveau témoin.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Napa Raphaël André est décédé d'hypothermie, a témoigné un pathologiste lors de la deuxième journée de l'enquête publique.

Selon le pathologique au CHUM Yann Dazé, qui a pris connaissance du rapport d'autopsie, le décès [de Napa Raphaël André] est attribué à une hypothermie environnementale chez un homme fortement intoxiqué à l'alcool au début.

L’homme de 51 ans est décédé le 17 janvier 2021 dans une toilette chimique près du refuge La Porte ouverte, sur la rue du Parc, qu’il avait l’habitude de fréquenter. Habituellement ouvert 24 heures sur 24, le refuge avait fermé à cause d'une éclosion de cas de COVID-19. Début janvier, il avait ouvert de nouveau mais avec des heures de service réduites qui prenaient fin à 21 h. De plus, le 9 janvier, un couvre-feu avait été mis en place dans la province entre 20 h et 5 h.

La nuit du 16 au 17 janvier, il faisait entre 0 et -5 degrés. Même si ce ne sont pas des températures polaires, ce sont des températures froides qui peuvent entraîner l'hypothermie. On n'a pas besoin d'être exposé à un froid polaire mordant, extrême, à partir du moment où on est en bas de la température ambiante naturelle, autour de 20 degrés, pendant un long moment et si on ne porte pas les vêtements adaptés, a précisé le pathologiste. Plus la température descend, plus le risque augmente.

Ce risque s'accroît aussi si la personne est sous l'effet de l'alcool. Napa Raphaël André avait un taux d’alcool de 353 mg pour 100 ml, ce qui représente la consommation d’au moins 14 bières régulières, soit 4,5 fois la limite permise.

Même si ce n'est pas clairement inscrit dans le rapport d'autopsie, Yann Dazé émet l'hypothèse que son taux d'alcoolémie pourrait avoir joué un rôle dans le décès.

Cependant, le pathologiste a tenu à rappeler que Napa Raphaël André n'est pas décédé avant de souffrir du froid, sinon il n'aurait pas eu d'engelures au niveau des genoux. Il y a l'hypothermie d'abord.

Il prenait aussi certains médicaments, comme le Valium et l’Ativan, et aurait consommé de la cocaïne dans les jours précédant le drame, mais pas dans les dernières heures.

L’alcool et les médicaments ne font pas bon ménage, selon la chimiste et toxicologue du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale, Jennifer Huynh, et peuvent entraîner un relâchement du système nerveux central, car il y a diminution des réflexes, dépression respiratoire, etc.

Le pathologiste a évoqué deux comportements que l'on peut trouver dans des cas d'hypothermie. Il y a le déshabillage paradoxal : l'hypothalamus (petite région située au cœur du cerveau) envoie un message au cerveau indiquant qu'il fait chaud, ce qui incite les victimes à se déshabiller. Il y a aussi le syndrome se cacher et mourir. C'est un instinct de survie primordial et les gens vont se cacher dans des endroits inhabituels et se mettre loin de la vue des autres.

Une intervenante de La Porte ouverte a témoigné lundi à l'enquête publique avoir donné un sac de couchage au début de l'après-midi du 16 janvier à Napa Raphaël, mais ce dernier ne l'avait pas avec lui le soir. Il serait sorti sans, car lors d'une chute dans un dépanneur dans la journée puis pendant son transfert à l'hôpital, le sac n'était pas sur lui, selon un sergent-détective du SPVM.

L'expulser, à regret

Napa Raphaël André a aussi essayé de passer la nuit dans un organisme autre que La Porte ouverte la veille de son décès, mais il n’a pu rester, car il refusait de subir un test de COVID-19. Plus tôt, il avait chuté à deux reprises, dans un dépanneur et à l’hôpital, d’où il a reçu son congé.

Raphaël, si tu veux rentrer ce soir, on a des directives. Tu dois te faire tester. Jonathan Lebire, alors coordonnateur de PAQ2, le deuxième refuge de Projets autochtones du Québec, a dû refuser l'Innu de la communauté de Matimekush-Lac John le 16 janvier 2021, une décision qui lui reste sur le cœur.

Habitué de PAQ2, Napa Raphaël était un homme qui buvait surtout de l’alcool, mais qui ne créait pas de problème dans la ressource pouvant accueillir 45 personnes, a déclaré l'intervenant.

Jonathan Lebire regarde la caméra.

Jonathan Lebire, directeur de l'association Comm-Un, était coordonnateur de PAQ2 en janvier 2021. Il est venu témoigner à l'enquête publique sur le décès de Napa Raphaël André.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Selon lui, les directives liées à la COVID-19 venaient de changer. Il y avait eu plusieurs éclosions au sein du personnel et chez des itinérants pendant les Fêtes et les tests étaient devenus obligatoires pour accéder à la structure. Jonathan Lebire a indiqué que, cette fois, pour ne pas perdre sa job, il lui a demandé de subir un test.

Je me souviens de sa face. Il m’a dit : "Tu me connais, tu sais que je ne vais pas faire ça, tu sais qu’on ne le fait pas dans notre communauté". Je lui ai répondu que je le savais. On s’est serré la main en se disant : on va s’entendre qu’on ne s’entend pas, a précisé Jonathan Lebire.

Je n’avais pas le choix de lui demander de quitter, a-t-il poursuivi. La discussion a eu lieu en début de soirée, possiblement entre 18 h et 20 h.

Ses souvenirs ne sont pas précis, car à cette époque, c’était le bordel. Quelques jours avant le décès de Napa Raphaël André, Espaces autochtones avait passé du temps à PAQ2. Jonathan Lebire et son équipe étaient déjà à bout de souffle.

Selon Jonathan Lebire, l’homme qui n’était pas en état de consommation avancé serait ensuite parti probablement vers le secteur Milton-Parc, car il connaît du monde, c’est un secteur très utilisé par la communauté et près de La Porte ouverte.

Selon le pathologiste, le test COVID-19 effectué après le décès était négatif.

Lors de son témoignage, Jonathan Lebire a par ailleurs relevé que, pendant le couvre-feu, les dépanneurs fermaient tôt et les vendeurs de drogue en ont profité pour rôder près des ressources. J’ai connu beaucoup de gens qui ont commencé à consommer des drogues de cette manière, mais je ne sais pas si ce phénomène a touché Napa Raphaël, a-t-il mentionné.

Vers 19 h 30, Napa Raphaël a été vu, dormant dans un coin au refuge La Porte ouverte, qu'il avait l'habitude de fréquenter.

Il ne comprenait pas pourquoi on voulait qu'il parte. La santé publique nous avait autorisés à ouvrir de nouveau seulement si le centre fermait à 21 h. J'étais contre cette décision. Je leur ai demandé pourquoi à 20 h 59 c'est sécuritaire, mais à 21 h 02 ça ne l'était plus, a lancé lors de son témoignage celui qui était alors coordonnateur de La Porte ouverte, John Tessier.

Il pensait que c'était quelque chose contre lui. Il était un peu énervé, il voulait juste dormir. Mais nous, on nous a exigé de fermer, a-t-il poursuivi. Selon lui, l'ordre venait de la santé publique.

Miraculeusement, après la mort de Napa Raphaël, il a été possible d'ouvrir complètement à nouveau. C'était redevenu sécuritaire. Ça me frustre.

Une citation de John Tessier, alors coordonnateur de La Porte Ouverte.

L'équipe a appelé un taxi pour l'emmener dans une autre ressource, mais l'Innu a refusé de le prendre. John Tessier a assuré que tous les efforts étaient déployés pour que les personnes partent de la manière la plus sécuritaire possible, en leur trouvant une ressource, un transport, des vêtements ou un sac de couchage.

Deux chutes et un congé de l’hôpital

Dans l'après-midi, Napa Raphaël André avait été envoyé au Centre hospitalier de l’Université de Montréal après une chute dans un dépanneur près de la ressource La Porte ouverte. À l’hôpital, il a fait une seconde chute.

Quand l’urgentologue Julie St-Cyr Bourque le voit, il a deux plaies à la tête et est endormi. Un examen au scanner est prescrit, mais le personnel refuse de le faire, puisque le patient était agressif et avait menacé les employés.

Une fois réveillé et pas confus, l’urgentologue va le voir et arrive à avoir une conversation avec lui. Elle note un traumatisme crânien sans dangerosité et ne relève pas de symptômes liés à cela chez son patient.

L’homme demande à avoir une désintoxication. Mais ne présentant pas de signe de sevrage, il n’a pas été dirigé vers le service de consultations en toxicomanie. Après vérification notamment des signes vitaux, de son état de conscience et du fait qu'il ne constitue pas un danger pour lui et pour autrui, la médecin lui a donné son congé.

Il est possible qu’il était encore sous l’effet de l’alcool, mais ça n'altérait pas ses capacités, sinon il n’aurait pas eu son congé, a précisé Dre St-Cyr.

Raphaël Napa a fait de nombreux séjours à l’urgence à partir du 19 décembre.

Deux femmes innues et des portraits de Napa Raphaël André.

Suzanne André, la mère de Napa Raphaël André, et Alexandra Ambroise, responsable des opérations à la tente Raphael du square Cabot, dédiée à la mémoire de Raphaël André.

Photo : Facebook/Alexandra Ambroise

Le décès de Raphaël André avait suscité l’indignation et ravivé le débat sur le manque de moyens publics pour aider les personnes en situation d’itinérance à Montréal. Il avait aussi rappelé la surreprésentation des Autochtones chez les sans-abri.

Me Stéphanie Gamache a rappelé, comme la veille, que cette enquête publique ne portera pas sur l’itinérance dans sa globalité..

Dans les mois qui ont suivi le décès, une tente chauffée où l'on distribuait des repas avait été installée au square Cabot. Dédiée à la mémoire de Raphaël André, cette tente, financée en grande partie par des communautés innues, a été en service pendant 15 mois avant d'être fermée en avril 2022.

Les audiences se poursuivent jusqu’au 24 mai puis reprennent du 3 au 14 juin 2024. Toute personne d'intérêt avait la possibilité d'adresser une demande au bureau du coroner avant le 1er mars 2024 afin de témoigner lors des audiences.

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